15 décembre 2013 7 15 /12 /décembre /2013 22:41

Le poète n’est pas un homme. C’est un loup. Ce n’est pas un loup pour l’homme. C’est un loup pour lui-même. Affamé de savoir, d’expériences et de l’Autre, il dévore dans son mouvement ascensionnel tout ce qui l’entoure, puis il se dévore lui-même. Son équilibre intérieur, il le puise entre sa sociabilité et sa sauvagerie, sa violence et sa douceur, sa rage de vivre et son goût de l’inconnu. Char s’interroge: «Comment vivre sans inconnu devant soi?»
Se consacrant entièrement à la libération de son pays, à la sécurité de ses concitoyens et à l’avancée des troupes alliées, René Char s’inscrit dans la légende des écrivains combattants. Générosité, exécutions, blessures, horreurs, violences, dévouement, sacrifice, renoncement, courage, audace, discipline autant de traces du capitaine Alexandre.

UN Spécial

LE SOL DE LA NUIT Loin de nos cendres, 1926

Pour que le même amour revienne
À cette cheminée qui fume
À cette maison qui saigne
Et le vide serait meilleur
Qu’ils soient heureux ceux qui tuèrent
Dans la mansarde du serpent

***

 

La tristesse des illettrés ..

La tristesse des illettrés dans les ténèbres des bouteilles
l'inquiétude imperceptible des charrons
les pièces de monnaie dans la vase profonde

Dans les nacelles de l'enclume
Vit le poète solitaire,
Grande brouette des marécages.

 

***

MARTEAU SANS MAITRE, moulin premier, commune présence

tu es pressé d'écrire
comme si tu étais en retard sur la vie
s'il en est ainsi fais cortège à tes sources
hâte-toi
hâte-toi de transmettre
ta part de merveilleux de rébellion de bienfaisance
effectivement tu es en retard sur la vie
la vie inexprimable
la seule en fin de compte à laquelle tu acceptes de t'unir
celle qui t'es refusée chaque jour par les êtres et par les choses
dont tu obtiens péniblement de-ci de-là quelques fragments décharnés
au bout de combats sans merci
hors d'elle tout n'est qu'agonie soumise fin grossière
si tu rencontres la mort durant ton labeur
reçois-là comme la nuque en sueur trouve bon le mouchoir aride
en t'inclinant
si tu veux rire
offre ta soumission
jamais tes armes
tu as été créé pour des moments peu communs
modifie-toi disparais sans regret
au gré de la rigueur suave
quartier suivant quartier la liquidation du monde se poursuit
sans interruption
sans égarement

essaime la poussière
nul ne décèlera votre union.

***

Placard pour un chemin des écoliers (1937)

J’ai étranglé
Mon frère
Parce qu’il n’aimait pas dormir
La fenêtre ouverte

Ma soeur
A-t-il dit avant de mourir
J’ai passé des nuits pleines
A te regarder dormir
Penché sur ton éclat dans la vitre.

***

3 :34

REMISE


Laissez filer les guides maintenant c'est la plaine
Il gèle à la frontière chaque branche l'indique
Un tournant va surgir prompt comme une fumée
Où flottera bonjour arqué comme une écharde
L'angoisse de faiblir sous l'écorce respire
Le couvert sera mis autour de la margelle
Des êtres bienveillants se porteront vers nous
La main à votre front sera froide d'étoiles
Et pas un souvenir de couteau sur les herbes


Non le bruit de l'oubli là serait tel

Qu'il corromprait la vertu du sang et de la cendre

Ligués à mon chevet contre la pauvreté

Qui n'entend que son pas n'admire que sa vue

Dans l'eau morte de son ombre.

René CHAR
Dehors la nuit est gouvernée, 1938

***

DÉCLARER SON NOM

J'avais dix ans. La Sorgue m'enchâssait. Le soleil chantait les heures sur le sage cadran des eaux. L'insouciance et la douleur avaient scellé le coq de fer sur le toit des maisons et se supportaient ensemble. Mais quelle roue dans le coeur de l'enfant aux aguets tournait plus fort, tournait plus vite que celle du moulin dans son incendie blanc ?

AU-DESSUS DU VENT (1959),
 in LA PAROLE EN ARCHIPEL

***

BIENS ÉGAUX    

Je suis épris de ce morceau tendre de campagne, de son accoudoir de solitude au bord duquel les orages viennent se dénouer avec docilité, au mât duquel un visage perdu, par instant s’éclaire et me regagne.  De si loin que je me souvienne, je me distingue penché sur les végétaux du jardin désordonné de mon père, attentif aux sèves, baisant des yeux formes et couleurs que le vent semi-nocturne irriguait mieux que le main infirme des hommes.  Prestige d’un retour qu’aucune fortune n’offusque.  Tribunaux de midi, je veille.  Moi qui jouis du privilège de sentir tout ensemble accablement et confiance, défection et courage, je n’ai retenu personne sinon l’angle fusant d’une Rencontre.

     Sur une route de lavande et de vin, nous avons marché côte à côte dans un cadre enfantin de poussière à gosier de ronces, l’un se sachant aimé de l’autre.  Ce n’est pas un homme à tête de fable que plus tard tu baisait derrière les brumes de ton lit constant.  Te voici nue et entre toutes la meilleure seulement aujourd’hui où tu franchis la sortie d’un hymne raboteux.  L’espace pour toujours est-il cet absolu et scintillant congé, chétive volte-face?  Mais prédisant cela j’affirme que tu vis;  le sillon s’éclaire entre ton bien et mon mal. La chaleur reviendra avec le silence comme je te soulèverai, Inanimée.

René Char. Fureur et Mystère - Biens égaux.  (Gallimard)

 

***

Gallimard (Poésie), p. 185

"Le Moulin du Cavalon" 

AFFRES, DÉTONATION, SILENCE

Le Moulin du Calavon. Deux années durant, une ferme de cigales, un château de martinets. Ici tout parlait torrent, tantôt par le rire, tantôt par les poings de la jeunesse. Aujourd’hui, le vieux réfractaire faiblit au milieu de ses pierres, la plupart mortes de gel, de solitude et de chaleur. A leur tour les présages se sont assoupis dans le silence des fleurs.

          Roger Bernard : l’horizon des monstres était trop proche de sa terre.

          Ne cherchez pas dans la montagne ; mais si, à quelques kilomètres de là, dans les gorges d’Oppedette, vous rencontrez la foudre au visage d’écolier, allez à elle, oh, allez à elle et souriez-lui car elle doit avoir faim, faim d’amitié.

***

 

À ****

Tu es mon amour depuis tant d'années,
Mon vertige devant tant d'attente,
Que rien ne peut vieillir, froidir ;
Même ce qui attendait notre mort,
Ou lentement sut nous combattre,
Même ce qui nous est étranger,
Et mes éclipses et mes retours.

Fermée comme un volet de buis,
Une extrême chance compacte
Est notre chaîne de montagnes,
Notre comprimante splendeur.

Je dis chance, ô ma martelée ;
Chacun de nous peut recevoir
La part de mystère de l'autre
Sans en répandre le secret ;
Et la douleur qui vient d'ailleurs
Trouve enfin sa séparation
Dans la chair de notre unité,
Trouve enfin sa route solaire
Au centre de notre nuée
Qu'elle déchire et recommence.

Je dis chance comme je le sens.
Tu as élevé le sommet
Que devra franchir mon attente
Quand demain disparaîtra.

 

***

9 :56

 L'amoureuse en secret

Elle a mis le couvert et mené à la perfection ce à quoi son amour assis en face d'elle parlera bas tout à l'heure, en la dévisageant. Cette nourriture semblable à l'anche d'un hautbois.

Sous la table, ses chevilles nues caressent à présent la chaleur du bien-aimé, tandis que des voix qu'elle n'entend pas, la complimentent. Le rayon de la lampe emmêle, tisse sa distraction sensuelle.

Un lit, très loin, sait-elle, patiente et tremble dans l'exil des draps odorants, comme un lac de montagne qui ne sera jamais abandonné.

***

Invitation

J'appelle les amours qui roués et suivis par la faulx de l'été, au soir embaument l'air de leur blanche inaction.

Il n'y a plus de cauchemar, douce insomnie perpétuelle.
Il n'y a plus d'aversion.
Que la pause d'un bal dont l'entrée est partout dans les nuées du ciel.

Je viens avant la rumeur des fontaines, au final du tailleur de pierre.

Sur ma lyre mille ans pèsent moins qu'un mort.

J'appelle les amants.

***

Redonnez-leur

Redonnez-leur ce qui n'est plus présent en eux,
Ils reverront le grain de la moisson s'enfermer dans l'épi et s'agiter sur l'herbe.
Apprenez-leur, de la chute à l'essor, les douze mois de leur visage.
Ils chériront le vide de leur cœur jusqu'au désir suivant;
Car rien ne fait naufrage ou ne se plaît aux cendres;
Et qui sait voir la terre aboutir à des fruits,
Point ne l'émeut l'échec quoiqu'il ait tout perdu.


Les Loyaux Adversaires ( 1945 )
In Fureur et Mystère.

Ed: Classique Hachette LA SORGUE Et autres Poèmes

***

 

12 :48

La Sorgue

Rivière trop tôt partie, d'une traite, sans compagnon,
Donne aux enfants de mon pays le visage de ta passion.
Rivière où l'éclair finit et où commence ma maison,
Qui roule aux marches d'oubli la rocaille de ma raison.
Rivière, en toi terre est frisson, soleil anxiété.
Que chaque pauvre dans sa nuit fasse son pain de ta moisson.
Rivière souvent punie, rivière à l'abandon.
Rivière des apprentis à la calleuse condition,
Il n'est vent qui ne fléchisse à la crête de tes sillons.
Rivière de l'âme vide, de la guenille et du soupçon,
Du vieux malheur qui se dévide, de l'ormeau, de la compassion.
Rivière des farfelus, des fiévreux, des équarrisseurs,
Du soleil lâchant sa charrue pour s'acoquiner au menteur.
Rivière des meilleurs que soi, rivière des brouillards éclos,
De la lampe qui désaltère l'angoisse autour de son chapeau.
Rivière des égards au songe, rivière qui rouille le fer,
Où les étoiles ont cette ombre qu'elles refusent à la mer.
Rivière des pouvoirs transmis et du cri embouquant les eaux,
De l'ouragan qui mord la vigne et annonce le vin nouveau.
Rivière au cœur jamais détruit dans ce monde fou de prison,

Garde-nous violent et ami des abeilles de l'horizon.

 

La Sorgue : Partage des Eaux

La Sorgue : Partage des Eaux

L'homme n'est qu'une fleur de l'air tenue par la terre, maudite par les astres, respirée par la mort ; le souffle et l'ombre de cette coalition, certaines fois, le surélèvent.
René Char,
Les compagnons dans le jardin

GRAPHEUS

Le loup poète : René Char dit par Laurent Terzieff

D'autres extraits :

ici

ainsi qu'une biographie

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13 juillet 2013 6 13 /07 /juillet /2013 13:37

On supprimera la Foi
Au nom de la Lumière,
Puis on supprimera la lumière.

On supprimera l’Âme
Au nom de la Raison,
Puis on supprimera la raison.

On supprimera la Charité
Au nom de la Justice
Puis on supprimera la justice.

On supprimera lˆAmour
Au nom de la Fraternité,
Puis on supprimera la fraternité.

On supprimera lˆEsprit de Vérité
Au nom de lˆEsprit critique,
Puis on supprimera lˆesprit critique.

On supprimera le Sens du Mot
Au nom du sens des mots,
Puis on supprimera le sens des mots

On supprimera le Sublime
Au nom de l’Art,
Puis on supprimera l’art.

On supprimera les Écrits
Au nom des Commentaires,
Puis on supprimera les commentaires.

On supprimera le Saint
Au nom du Génie,
Puis on supprimera le génie.

On supprimera le Prophète
Au nom du poète,
Puis on supprimera le poète.

On supprimera les Hommes du Feu
Au nom des Eclairés
Puis on supprimera les éclairés.

On supprimera lˆEsprit,
Au nom de la Matière,
Puis on supprimera la matière.

Au nom de rien on supprimera l’homme ;
On supprimera le nom de l’homme ;
Il n’y aura plus de nom ;


NOUS Y SOMMES -

 

(Les poèmes indésirables 1945)


Armand Robin (1912-1961)


 

 

« Ce qui m'intéresse, c'est de savoir si "nous y sommes" ou non.

Sommes-nous capables de remonter

cette échelle ternaire dans l'autre sens ? »


* * *


MARIANNE AURICOSTE, MAURICE COUQUIAUD,
WERNER LAMBERSY et BASARAB NICOLESCU

La matière et nous

http://ciret-transdisciplinarity.org/bulletin/b15c8.php#note

 

EXTRAIT :


[ (…)  Pour le bien de tous, dès le début du vingtième siècle, bien des scientifiques furent amenés à changer d'attitude et d'optique. Basarab Nicolescu est aujourd'hui un représentant éminent des chercheurs capables de modifier le regard que nous pouvons jeter sur le monde,… aussi bien le regard des scientifiques que celui des poètes se retrouvant devant une perspective commune. Cette vision modifiée, il faut le savoir, nous a été proposée par la physique quantique. Celle-ci nous apprend que les lois valables dans l'univers de nos apparences, à notre échelle classique, à notre niveau de perception, ne sont pas les mêmes que celles d'un niveau de réalité pouvant échapper à notre vue, à la portée limitée de nos sens. Elle prouve qu'à ce niveau un objet peut être deux choses à la fois : une particule peut se manifester comme une onde ou inversement. Etrangement, la nature de l'objet demeure liée aux choix de l'observateur pour conduire son expérience.


Des interactions discrètes changent les rapports entre les parties, si bien que toute séparation est une démarche aléatoire. La somme quantique de A+B+C ne se traduit pas par une simple addition selon le credo scientiste, mais par une relation d'incertitude soumise à des calculs. Autre constat fondamental : le monde, dans sa globalité, est constitué d'énergie. Cette table, que je frappe devant vous, est faite d'énergie, la lumière que nous recevons ce soir des projecteurs est composée d'énergie… celle-ci empruntant pour nous des formes différentes à travers des niveaux de réalité plus ou moins visibles, plus ou moins accessibles.


Prenons-en conscience ! Le regard nouveau, global, proposé par les physiciens peut aider les poètes à changer leur conception de leur présence au monde. Au lieu de réduire le champ de nos sentiments aux simples dimensions de l'ego, à ses interférences personnelles, nous pouvons étendre la résonance de l'être à toutes les vibrations de l'univers. De même que la physique quantique n'efface pas celle de Newton au niveau habituel de nos perceptions, il ne s'agit nullement de rejeter la poésie du passé dans le passé. Sensibilisés par une autre approche des infinis, nous pouvons aujourd'hui modifier l'échelle de notre affectivité pour une saisie globale des phénomènes perceptibles et non perceptibles, pour cueillir tous les influx poétiques de l'ensemble, du Tout complexe, dont nous faisons partie, apparemment seuls capables de les interpréter. (…)]

 

 

dansuers

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28 avril 2013 7 28 /04 /avril /2013 14:19

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Romain Gary : La nuit sera calme

 

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15 janvier 2013 2 15 /01 /janvier /2013 22:46

 

 

MUMMENSCHANZ

 

 

 

 

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27 décembre 2012 4 27 /12 /décembre /2012 16:06

 


 

 


 

 

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7 décembre 2012 5 07 /12 /décembre /2012 11:16

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Alexandre Vialatte

Le cri du canard bleu (extrait)

 

« La Beauté ne s’explique pas. Elle s’impose, elle vous saisit. Elle vous laisse un signe au passage ; on le reconnaîtra toute sa vie. Elle vous attrape et vous conduit par des chemins qui sont à elle. Quand elle vous lâche, elle vous laisse des bleus sur vos poignets.

 

Ce fut à l’âge de sept ans qu’Étienne Berger fut soudain mis en sa présence. Il s’en approcha, interdit, tendit un doigt pour la toucher, mais, le sortilège étant plus fort, le laissa retomber inerte, et ne s’éloigna que lorsque la « chandelle » qui s’allongeait à la façon d’une stalactite sous son nez vint glacer sa lèvre inférieure avec un goût de sel ; alors il bâtonna ses chèvres, renfila et partit lentement.

 

Il ne l’oublia plus jamais ; tels ces gens qui restent boiteux d’avoir servi de route à l’éclair. Un monsieur – qui avait eu tort – avait collé en effet sur le pare-neige (imagine-t-on pour qui, pourquoi, à ces altitudes écrasantes ?) quatre affiches, aussi dorées que regrettables.

 

Et la première était de la Suze, avec une belle bouteille d’une couleur profonde, aussi nette qu’une photographie ; et trente lieues de paysage par-derrière, au bord d’une forêt de sapins. Celle-là sentait l’Helvétie, la résine et le calvinisme.

 

La seconde était du cirque Omar, dans un style opulent et rouge qui évoquait le théâtre et l’Asie. Des ours blancs comme des manteaux de neige jonglaient là sur un sucre en vrac qui représentait des banquises, au bord d’une mer bleue comme l’azur des lingères, au pied d’une aurore boréale. Ils se lançaient un ballon rouge autour d’un grand numéro d’or porté par une banderole bariolée de quatre ours blancs de l’océan Arctique.

 

Au-dessous, dans un médaillon, coiffé d’une casquette d’amiral, le portrait du dompteur lui-même : « Omar Kali, le seul dompteur français. »

 

Sur la troisième un tigre du Bengale abattait d’un seul coup un rideau de roseaux et

menaçait de dévorer un cadre ovale dans lequel le frère d’Omar, revêtu d’un frac

impeccable et décoré du Nicham Iftikar, semblait appuyer l’assertion qu’on pouvait

lire en grosses lettres : « Le cirque Kali ne change pas de nom. »

 

Mais la quatrième, entre toutes, bariolée comme une toupie neuve, était éblouissante, d’or, de pourpre, d’azur et de plantes vertes : c’était celle des « Ballets Féeriques ».

Sur un

fond d’arcades mauresques rehaussées d’arabesques d’or, une pyramide éblouissante de danseuses en maillot rose, avec des diadèmes

et des tulles, des aigrettes et des pailletis, déployaient leur grâce aérienne. La plus belle avait des cheveux blonds et portait une robe blanche comme une chemise de noces. C’était celle-là qu’Étienne Berger avait distinguée entre toutes.

La petite Amélie, qui jouait avec lui, était venue les contempler le lendemain, toutes luisantes de colle fraîche. Ils étaient restés éblouis.

– Laquelle tu choisis ? avait dit Amélie.

Et Étienne, tendant un doigt, car il n’osait approcher la merveille, avait désigné la princesse, la dame, la reine enfin, celle qui avait la robe blanche.

– C’est ta fiancée, expliqua Amélie.

 

Amélie connaissait la vie, le nom qu’il faut

donner aux choses.

Au dîner, la maman d’Étienne lui demanda :

– À quoi penses-tu ?

Il tenait sa fourchette en l’air et regardait dans le vide avec un air idiot, du côté de la

grande cheminée.

– À rien, dit-il.

Et il fixa la porte. La dame du Ballet, docile à son regard, et subtile comme une fumée, quitta la cheminée, d’où elle était sortie de la flamme, erra un instant dans la pièce pour faire des pointes devant la porte vitrée, ce qui n’empêchait pas Étienne de voir la petite réclame du Byrrh qui se dessinait à l’envers sur le carreau, en lettres blanches sur fond rouge, à travers le corps diaphane et

rose de la danseuse. Elle disparut finalement dans le feuillage du laurier qu’on

mettait à l’abri dans la salle pour l’hiver, où sa dernière plume d’autruche qui dépassait encore s’effaça.

Étienne ne vécut plus désormais que dans la complicité charmante, cruelle aussi, d’un monde de tulle et de mousseline blanche. Il revint souvent la regarder sur l’affiche, au soir tombant, à la sortie de l’école ou en revenant de garder les chèvres. Un jour, effrayé de son audace, il lui caressa les cheveux ; une autre fois, d’un geste sacrilège, il osa toucher ses épaules. Elle ne s’évanouit pas. Certains soirs,

sous l’effet d’une ombre, on eût dit qu’elle remuait.

– C’est la bonne amie d’Étienne, dit un client de l’auberge paternelle qui avait surpris

le manège de l’enfant.

– Comment elle s’appelle, Étienne ?

Le client n’était pas trop intimidant.

Étienne répondit : « Estelle », à voix très basse.

 

C’était un nom qu’il avait lu sous une image dans un livre de prix de son oncle Félix, et qui lui paraissait princier. »

 

 

***

http://www.surjeanlouismurat.com/article-vialatte-auteur-auvergnat-111767990.html

Extraits de "CHRONIQUES DES CHOSES GRANDES ET MAGNIFIQUES" Edition Hors collection 

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7 décembre 2012 5 07 /12 /décembre /2012 08:47

TEXTE SOURCE : amselek.ac.free.fr/Textes.../Entre%20réel%20et%20réalité.doc

 

Cycle de conférences PSYCORPS sur la place du réel en psychothérapie psychanalytique

Conférence du 22 septembre 2010 à Bruxelles

 

 

Entre Réel et Réalité,

Où se situe l’efficace de l’action thérapeutique ?

 Par Alain Amselek, psychanalyste

Argument : “ La science contemporaine a été amenée à distinguer au-delà de ce qui fait notre réalité quotidienne et ordinaire ce qu’elle a appelé le Réel. En psychanalyse, Lacan a suivi en distinguant trois registres de la réalité : Symbolique, Imaginaire et Réel (SIR, que certains écriront à tort hiérarchiquement ISR, pensant que l’Imaginaire précède le Symbolique, et qu’il écrira finalement RSI…). Au début, Freud parlait pourtant simplement de principe de réalité, qu’il opposait au principe de plaisir…

Qu’est-ce le réel ? Qu’est-ce la réalité ? D’où vient qu’il y ait une différence, que le sens commun ne distingue pas ? La réalité ne devient-elle pas un mythe ? Qu’est-ce l’action thérapeutique ? Qu’est-ce l’efficace ? Qu’est-ce qu’un “Où” : Un lieu ? Un non-lieu ? Est-il situé dans l’espace ? Dans le temps ? Autant de questions énigmatiques qui nous hantent dans notre pratique et que nous nous proposons à poser et à illustrer plutôt qu’à y répondre.”

 Ce fantastique dont on s’aperçoit toujours plus

Qu’il est en réalité tout le réel…

Antonin Artaud, Sorcellerie et cinéma.


La vie, c’est toujours là où on ne voit pas et là où on ne sait pas

Des analysands

 

Bonsoir à tous et à toutes… Je vous remercie d’être là, soyez les bienvenus. Je veux aussi remercier Brigitte Dohmen, Sandy Kirsch, Jacques Van Wynsberghe et toute l’équipe de Psycorps de m’avoir invité à ouvrir ce nouveau cycle de conférences.

Le titre que j’ai donné pour mon exposé à Brigitte « Entre réel et réalité, où se situe l’efficace de l’action thérapeutique ? » est, je dois l’avouer tout de suite, un titre bien présomptueux. Il faut dire que je revenais tout juste de Tunisie aux vacances de Noël et du Jour de l’an et j’étais encore tout plein de soleil, de mer, de joie, et donc d’optimisme un peu béat ; je venais aussi de faire une replongée dans mes souvenirs d’adolescence, mes “madeleines de Proust”, à travers une relecture d’Albert Camus… Un pic de bonheur et de plénitude !... Où, comme dit le poète, en l’occurrence Gilbert Bécaud, « des instants d’éternité », véritable “réel”, avaient balayé la réalité !

Ce titre qui m’a jailli spontanément sous forme d’une question éminemment énigmatique, n’attendez pas de moi ce soir que j’y donne une réponse qui soit claire et qui puisse vous satisfaire : ce serait bien trop simple. En fait, je crois, que j’ai couru après, en la ratant bien sûr, à travers tous mes livres et probablement toute ma vie, et cela va bien au-delà des seules préoccupations de l’analyste, car c’est aussi la question que se pose toute personne en quête de ce réel invisible… même si cette question reste, il me semble, la question que le psychanalyste se pose en permanence, qu’il en soit conscient ou non… Oui, la question flottante à laquelle il se heurte, qui ne le lâche jamais s’il veut être présent, c’est-à-dire actif dans la relation à son patient et dans les processus inconscients qui en découlent. C’est la question à mille balles, le premier qui s’imagine avoir la réponse est mort comme praticien, même s’il se voit naître alors comme théoricien.

 

C’est donc à un exercice paradoxal que je vais me livrer, celui d’avoir à vous faire sentir avec des mots qui deviennent si facilement des abstractions, des concepts, des théories, une position a-théorique ou au moins antithéorique et quelque chose de "l'intime intimité" avec soi, avec la vie, avec l’autre, c’est-à-dire quelque chose de l’invisible, l’informe, l’impensable, l’inimaginable, à quoi ont affaire tout analysand et tout analyste dans une cure, bien qu'ils s’en défendent l’un et l’autre, préférant rester ou ramener tout dans le représentable, le rationnel, le prévisible...

 

Au risque de ne plus laisser alors aucune place au mystère, au non-savoir, à l’inconnu de la vie, à tout ce qui nous échappe, et pourtant nous porte, nous nourrit, nous guide même, quand ce n’est pas enfoui et barricadé !

 

Heureusement ce soir nous ne sommes pas en situation clinique, nous ne ferons que du bla-bla et cela m’autorise à pouvoir faire semblant d’avoir quelques idées pour essayer de mieux cerner la Question, qui seule importe et nous porte dans les décours d’une cure. Car la psychanalyse, n’est-elle pas que Question, questionnement et inlassable remise en question, c’est-à-dire mouvement vers de l’autre, de l’inconnu ?

 

S’ils distinguent ce qui relève du fantasme et ce qui relève de la réalité, en général les psychothérapeutes, disons psychologues ou sociologues, ne font pas ordinairement de distinction dans leur clinique entre réel et réalité, ces deux derniers termes étant considérés par eux comme synonymes. Ce sont les psychanalystes qui à partir de Lacan et sur les pas du mouvement scientifique, ont essayé d’introduire de façon radicale et brûlante cette distinction. Cependant, Lacan, qui a échoué dans son entreprise de formalisation de la psychanalyse comme science, ce qu’il a reconnu à la fin de sa vie[1], a constamment varié dans ses définitions du réel et s’est maintes fois contredit. Une certaine ambiguïté demeure dans les emplois des mots “réel” et “réalité”. Nous la retrouverons notamment avec une pointe d’humour dans les citations proposées !

 

Je hais la réalité,

Mais c’est quand même le seul endroit

Où se faire servir un bon steak

Woody Allen


« Il n’y a qu’une seule réalité, une seule chose

Qui calme la faim et qui se mange

Comme un honnête morceau de pain :

C’est l’Amour.

Tout le reste n’est que friandises,

Bonbons fondants, écœurements

Jean Anouilh, Ornifle


Le mot réalité vient du latin res, la chose. Dans le langage courant, une réalité, c’est une chose qui est, et la réalité, c’est l’ensemble des choses qui sont, la réalité désigne ainsi le caractère de ce qui existe effectivement dans le monde par opposition à ce qui n’a pas d’existence. Quant au mot réel, il est simplement l’adjectif qui qualifie ce qui relève de la réalité. On est donc là ordinairement dans “ce qui est observable” au niveau macroscopique, celui que perçoit “naturellement” l'être humain, et donc le niveau qui est livré à ses sens : ce que je vois, ce que j’entends, etc.

Paul Valery déclare dans Mon Faust (Œuvres Pléiade, Tome 2) : « Ma main se sent touchée aussi bien qu’elle touche. Réel veut dire cela, rien de plus ».

Mais si on dépasse ce niveau du sens commun, cela se complique très vite.

Dès que les hommes sont passés de l’état premier d’“êtres sentants” et plus ou moins bruyants ou criants” à celui d’“êtres parlants”, le langage a introduit chez eux le semblant, la ruse et le mensonge, tout ce qui allait leur couper le chemin direct de la chose. C’est toute l’histoire du mythe de la Genèse dans la Bible.


Ce qui est nommé n’est-il pas déjà perdu ?

Albert Camus


Le mot n’est pas la chose, on a même dit qu’il était “le meurtre de la chose”, il peut la représenter, mais hors d’elle-même, hors de sa vie propre, de son potentiel d’irreprésentable, de mouvance et donc de devenir, dans une place de substitution, place de fixation et de mort dans l’ailleurs du langage ou l’ailleurs de l’image. Cette “absentification du réel” a ouvert toutes les possibilités à l’imaginaire, à la fiction, au rêve, au mythe. Mais aussi cela a permis par là même aux hommes d’objectiver le monde, de l’imager et de le penser, en mettant surtout en doute son apparence, en lui superposant des constructions mentales. Ainsi le monde est devenu ma représentation, que bien sûr je suis obligé d’ajuster plus ou moins à celle de mes proches pour pouvoir établir des possibilités d’échange avec eux sur des bases consensuelles.

 Mais bien sûr aussi au prix de dissensions, de clivages et de conflits ? On voit là déjà une raison de l’apparition du souci et du soin des thérapeutiques langagières ou idéalistes (N’est-ce pas d’ailleurs la même chose ?) :

 Essayer en restant dans le langage, dans les interprétations et les constructions, d’en corriger les artefacts et les nouages et de procéder à des réaménagements symboliques. Ce qui aurait été noué par le langage, ce serait le langage qui pourrait le dénouer ?... On ne sortirait pas de là.

Devenant ainsi, plus ou moins consciemment, métaphysiciens ou logiciens, les êtres-parlants se sont très vite livrés à des joutes autour de la réalité à laquelle nous donne accès le langage, en même temps qu’autour de celle qu’il nous cache, nous fait oublier ou nous travestit.

Les philosophes se sont classés en réalistes et idéalistes. Les réalistes admettent que pensée, langage et choses vont dans le même sens et que les choses sont faites comme nous les pensons faites, selon les procédés qui conduisent nos quêtes spéculatives. Ils admettent aussi là que la médiation du langage pour dire nos jugements n’a pas d’influence déréalisante, et que c’est bien le monde tel qu’il est hors de nous que notre parole ou notre écriture “montrent” en le décrivant. Pour les idéalistes, ce qui nous est donné dans l’expérience du monde est par contre toujours un produit de nous-mêmes, un produit élaboré certes au contact du monde et non pas de façon purement arbitraire, mais un produit fabriqué par nous-mêmes et pour nous-mêmes; ce qu’exprime le fameux mot de Bachelard: « rien n’est donné, tout est construit ». [2]

Partout l’homme ne rencontre que des instruments et des structures

Dont il est l’auteur.

Tout ou presque lui renvoie son image.

Le monde n’est plus un mystère, mais un miroir.

Alain Finkielkraut

L’accès à la réalité en soi n’est plus du tout garantie. A la limite, il n’est même plus sûr que la réalité existe et on commence à se demander si elle n’est pas un mythe, ce qui nous ferait voyager au centre du paradoxe et de la folie…

Pour pouvoir justifier ou infirmer le monde des Idées (des Idées avec un I majuscule, qu’ils nommaient Universaux ou Archétypes), les théologiens du Moyen-âge ont largement disputé autour de ce qu’ils ont appelé selon leurs positions : le réalisme (L’Idée a en elle-même sa propre et réelle existence dans l’Univers, hors de tout esprit), le conceptualisme (L’Idée ou Forme ou Structure est une conception de l’esprit, et si le concept a une réalité distincte du mot qui l’exprime, il n’y a rien qui lui corresponde hors de l’esprit) ou enfin le nominalisme (L’Idée générale n’est faite que de simples mots, sons sans consistance, qui ne désignent aucune réalité). Je ne vais pas entrer là dans le détail de ces querelles, certes très intéressantes et pas si obsolètes que certains le pensent, mais cela nous prendrait trop de temps.

Parmi les illusions de l’existence, certaines réussissent.

Ce sont elles qui constituent la réalité

Jacques Audiberti, L’effet Glapion


Avec l’avènement et le développement de la science, une nouvelle position s’est faite jour : la position pragmatiste qui tient la réalité pour garantie par la réussite des actions fondées sur ce qu’on en a compris. La réalité, c’est alors ce qui marche, ce qui marche dans certaines conditions d’expérimentation, mais… encore dans un système de représentations à l’intérieur duquel on reste quand même enfermé ! On ne sort pas là du symbolique (en gros le langage, ou plus précisément ses signifiants), ni de l’imaginaire (les retombées du symbolique, les signifiés, -à ne pas confondre avec l’imaginaire animal ou pré-verbal chez l’homme[3]). Symbolique et imaginaire enveloppent la réalité, comme disent les hindous, du voile de Maya… ce qui nous met, selon le mot de Jacqueline Barus-Michel, …dans la mayonnaise !

 

Pour compliquer les choses, les savants, selon leurs spécialités, étudient la réalité à différents niveaux, macroscopique (la mécanique classique) ou microscopique, voire à un niveau encore plus “fondamental” (au niveau des particules dans la physique nucléaire), montrant ainsi que la réalité peut s'appréhender selon différentes perspectives. Il n’y a plus alors une réalité, mais des réalités multiples qui se superposent ou s’insèrent l’une dans l’autre.

 

Ainsi, si nous prenons une table classique en bois, un menuisier nous déclarera qu’elle a la consistance de tel ou tel bois en provenance de tels arbres dans telle forêt ; mais si on fait venir un chimiste, lui nous expliquera que ce que nous voyons de la table en bois n’est pas la vraie réalité, car elle est faite de chaînes de molécules et il pourra même nous la dessiner ainsi dans cette représentation ; un physicien classique dira : non, non, il faut voir les choses autrement, c’est en réalité un assemblage d’atomes, qu’il nous représentera aussi à sa façon ; si on s’adresse à un physicien quantique, la table va devenir corpuscules et ondes à la fois, et à la limite de la recherche scientifique, elle n’est plus que simple vide, animée ou non de vibrations. On croit rêver comme Alice au pays des Merveilles !

« La réalité est inconnaissable en soi », va asséner Popper sur les pas de Kant. « Tout est irréel », affirme plus simplement Cioran !

 

Mais à travers l’explosion de toutes ces réalités relatives qu’étudient les scientifiques, et il y en a bien d’autres !,

les savants se sont demandés bien entendu : Y a-t-il finalement une Réalité Ultime, une réalité de ces réalités ? Y a-t-il une Réalité suprême ou absolue ? Pour la distinguer de la ou des réalités, ils l’ont appelée le Réel, sans être tout-à-fait sûrs que ce Réel, qui serait au fondement de toute réalité relative, existe ou soit accessible, et pour les plus audacieux d’entre eux, ils ont déclaré que ce Réel, s’il était accessible, ne pouvait l’être que par la mystique et ses pratiques au-delà du langage. C’est ce que Raymond Ruyer a appelé dans les années 1970 un peu abusivement certes “la gnose de Princeton”.

Il est étrange qu’un certain savant, le dénommé  Freud justement, soit parvenu à la même conclusion. Il est étrange que Freud qui se définissait comme un “Homme des Lumières” et un “rationaliste extrême”, qui était totalement pris dans le scientisme fin XIXème siècle et voulait à tout prix intégrer la psychanalyse dans le mouvement des sciences, qui affirmait être un savant positiviste sur les traces matérialistes pures et dures de son maître, Ernst Brücke (« la plus grande autorité qui ait jamais exercé une action sur moi », a-t-il dit), il est étrange qu’à la fin de sa vie Freud ait commencé à pressentir, malheureusement trop tard, sans avoir les moyens ni le temps de leur élaboration, des zones métapsychologiques autour de l’intuition mystique, dont à aucun moment il n’avait mesuré ni accepté la portée.

 

Aprés s’être montré extrêmement critique à l’égard de tout ce qui lui semblait mystique et qu’il assimilait à de l’obscurantisme (mais on sait d’après Freud lui-même qu’on nie le plus souvent ce qu’on est tenté d’affirmer mais que par peur ou déplaisir on écarte ou on refoule), il en vient en effet de manière surprenante en 1933 dans ses “Nouvelles Conférences” à reconnaître que la démarche mystique présente des similitudes avec les processus psychanalytiques, elle consisterait pour lui en un repli de la topique psychique effaçant l’espace-temps : « On peut se représenter sans peine, écrit-il (p. 109-110), que certaines pratiques mystiques sont capables de renverser les relations normales entre les différents territoires psychiques, de sorte que, par exemple, la perception peut saisir dans le moi inconscient et le ça des faits qui lui étaient autrement inaccessibles... Nous admettrons (c’est toujours Freud qui parle), que les efforts thérapeutiques de la psychanalyse se sont choisi un point d’attaque similaire ».

 

Cela n’arrêtera plus de le travailler. On trouve en effet cette note écrite par Freud le 22 août 1939, exactement un mois avant sa mort le 23 septembre : « La mystique, l’obscure autoperception du règne au-delà du Moi, du Ça ».

On voit dés lors poindre le Réel comme ce que vise mon désir, ce qui meut mon être, ma vie propre au-delà de la réalité langagière, qui m’en coupe. Et cela ne nous étonne plus que Freud dans sa lettre 52 à Fliess en décembre 1894, oui, déjà en décembre 1894 à propos du Manuscrit G, utilisait le terme das Ding, La Chose, pour désigner un réel archaïque, l’objet primordial du désir. C’est ce Réel qui suscite mon désir, et la réalité qui y fait obstacle, créant l’angoisse.

 

L’inconscient, c’est le réel en tant qu’impossible à supporter

Lacan


Dans une perspective structuraliste et purement idéaliste ignorée de Freud, qui s’en tenait au début à la distinction du principe de réalité et du principe de plaisir avant de découvrir ensuite un “au-delà du principe de plaisir”, Jacques Lacan va s’intéresser à bien distinguer ce qu’il appelle alors les trois dimensions ou catégories de la réalité : Symbolique, Imaginaire et Réel, tout en étudiant comment elles se nouent topologiquement.  

 

C’est certainement sa contribution la plus importante à la psychanalyse, et à mon sens il serait dommageable de l’ignorer. En s’appuyant sur l’ordre de la linguistique structurale : signifiant, signifié, référent, soit mot pour mot Symbolique, Imaginaire et Réel, il propose cette métaphore : Prenons une table (encore l’exemple de la table !),  La table imaginaire recoupe les fonctions de cet objet, on mange dessus, elle peut servir à poser un vase, elle marque le repas, etc. Elle nous donne toutes les images possibles ou virtuelles de la table.

 

La table symbolique, c'est simplement le mot table tel qu'il vient se lier dans le discours. On dit ainsi : à table !, faire table rase - le signifiant table peut aussi s'insérer dans d'autres expressions, comme table des matières… Le réel, où se trouve-t-il ?

 

Le réel lui se constitue du reste… soit ce que l'on ne connait pas ! « Le réel est le domaine qui subsiste hors de la symbolisation », explique Lacan dans Ecrits p. 388. Il est un point de butée, et Lacan le définit encore comme produit “d’une impasse de la formalisation”.

 

C’est dans son séminaire “L'identification” (1962) où il parle sans cesse de retournement et d’inversion, et où il est question d'une phrase extraite de “La Critique de la Raison pure” de Kant : “Ein leerer Gegenstand ohne Begriff” (Un objet vide de concept sans saisie possible avec la main), que Lacan clarifie sa notion de Réel. Leer signifie en allemand : vide, inoccupé, vacant (au figuré : vide de sens) ; si on retourne les lettres formant leer, cela donne réel. Le réel aurait donc à voir avec le vide, le non-être, le non-sens.

 

Donnant de plus en plus d’importance au Réel dans sa recherche, après avoir fait prévaloir l’imaginaire, puis le symbolique, cela l’amène à changer l’ordre de ces registres et les inscrire Réel, Symbolique, Imaginaire. RSI (Certains contestataires disent hérésie) au lieu de SIR, ce qui pourrait faire croire à un amoindrissement de l’importance pour Lacan de la religion du Symbolique. Mais il n’en a pas été vraiment ainsi, bien que dans “Peut-être à Vincennes” en 1975, Lacan ait dit : « L’imaginaire et le réel sont deux lieux de la vie » !

Pourquoi préférait-il le symbolique, qui n’était pas un lieu de la vie… ? De la mort ?

 

Pour Lacan, le réel s'impose, certes, au sujet et est caractérisé par l'inquiétante étrangeté (Unheimlich), c’est le trauma, il fait objection au savoir, car il est l’impossible à dire ou à représenter. Si la démarche de connaissance consiste à explorer le réel pour bâtir un savoir qui constitue notre réalité, cette réalité relève de la dimension imaginaire : c’est une fiction.

 

Le problème de la modernité occidentale, c’est que pris dans une frénésie technologique et influencé par ses démarches, on conceptualise de plus en plus la réalité, en la pervertissant peu à peu dans des fumées idéologiques.

 

Tout se trouve saisi sur le mode conceptuel, idéal, théorique, comme chose mentale. A la dimension naturelle de l’immédiat de la vie, se superpose la dimension intellectuelle qui va rapidement fausser, dévoyer l’épreuve du réel.

 

 En oubliant en plus qu’il y a dans l’actuel à côté de cette réalité toute faite « une réalité en train de se faire » (Bergson). L’écart entre la réalité ou“ce qui est” (l’étant grec qui n’est pas réellement, puisque c’est seulement une vue figée et conceptuelle du mouvant, une Idée ou une fiction) et le réel, ce qui porte et traverse tout ce qui est, ce qui est toujours en processus de re-naissance, en recommencement d’être, en changement-devenir, en mobilité, cet écart est le fondement du monde visible.


Le réel récuse l’essence éternelle ou la nature figée des choses, sa caractéristique est la mouvance et l’altérité, son être devient sans cesse autre

 

 Nous ne sommes plus là dans l’essence et la retombée dans la représentation et la pétrification du sens, mais dans l’essance et le sens en mouvement.

Le lacanisme se heurte à la difficulté que la notion d’existence est logiquement première par rapport à celle de connaissance, puisque pour parler et penser, il faut d’abord être et vivre. L’analyse est-elle seulement une méthode de connaissance et doit-elle se passer seulement dans la pensée et le langage, ou est-elle un moyen de rejoindre le cœur du vivre, de l’exister et doit-elle se situer du côté de l’existence, de la vie ?

 

Il ne se passe entre l’analyste et l’analysand que ceci : ils se parlent.

Freud, L’analyse profane, 1926

 

Quelle réduction pour l’inventeur de l’inconscient, le promoteur des pulsions de vie et de mort, le chercheur intéressé par les phénomènes télépathiques et occultes, par la communication d’inconscient à inconscient ! L’homme qui a été jusqu’à dire à Carrington en 1921 : « Si je devais refaire ma vie, je me consacrerais dans mes recherches à l’étude des phénomènes dits occultes plutôt qu’à la psychanalyse » !

 

Freud a toujours présenté la psychanalyse comme une pratique fondée sur la parole, mais Lacan en a accentué le fait en affirmant sur les traces de Heidegger que « L’homme habite le langage » et ne peut en sortir.

 

L’affectivité, nous ne le dirons jamais assez,

Est l’élément fondamental, irréductible de la réalité humaine.

Même si la conscience de l’homme moderne ne se réduit plus à l’affectivité,

Celle-ci en reste le fondement.

Alain Amselek, Le Livre Rouge de la psychanalyse.

Si je fus ta femme pendant des années,

C’est parce que tu fus pour moi la première Réalité

Où le corps et l’homme sont indiscernables.

Lou-Andréas Salomé, Ma Vie


Par le rejet, imputé à l’ordre symbolique, de toute promiscuité avec le vivant et le libidinal (et même l’humain !), en écartant l’affectivité et l’intuition, contre lesquelles il n’a guère eu d’autres arguments que l’ironie ou l’insulte, ses armes favorites, Lacan s’est coupé la route concrète du réel et est resté dans le monde de l’abstraction et de la représentation, qu’il soit de l’ordre de l’imaginaire ou de l’ordre du symbolique, prolongeant jusqu’à la démesure une partie au moins de l’héritage idéaliste platonicien. Il est resté bloqué dans le réel comme impossible à dire et à représenter, mais surtout, je crois, comme impossible à supporter pour lui. De là tout cet édifice structural, mathématique et abstrait qu’il a construit comme défense propre à le protéger lui-même du réel.

 

Dans sa conférence à Rome intitulée “Le triomphe de la religion”, Lacan réaffirme en 1974 :« Le symptôme, ce n'est pas encore vraiment le réel. [...] Mais le réel réel, si je puis dire, le vrai réel, c'est celui auquel nous pouvons accéder par une voie tout à fait précise, qui est la voie scientifique. C'est la voie des petites équations », et plus loin il évoque : « [...] le réel auquel nous accédons avec des petites formules, le vrai réel ».


Lacan n’a pas voulu voir qu’il n’y avait pas à accéder au réel et que ce n’était pas une question de logique, ni de discours : Le réel, nous sommes toujours en plein dedans, IL NOUS AFFECTE ( c’est-à-dire nous agencie et nous pulsionne), et ou ça s’éprouve dans un “lieu” charnel et affectif originaire au-delà ou en-deçà du langage et nullement réductible aux représentations que nous pouvons nous en faire, ni encore moins aux petites formules, ou bien ça s’occulte par le recouvrement de ce que nous avons décrit jusqu’ici comme réalité et qui est construction mentale et fiction.

En proclamant dans son séminaire sur les psychoses (p. 202 etc.) : « Il y a quelque chose de radicalement inassimilable au signifiant : C’est tout simplement l’existence singulière du sujet... », Lacan avait déjà reconnu son impasse. Car que devient alors l’analyse ? Elle ne renvoie plus du tout à une “épreuve” du réel, à l’éprouvance du réel, ni au rapport charnel avec des individus concrets et vivants, mais à des effets de langage, c’est-à-dire à une magie du Logos, que Lacan appelle “le réel du symbolique”.

Ce n’est pas avec des mots que nous écrivons le réel,

C’est avec des petites lettres.

Lacan, Conférences à Yale University, 1974

Richard Dawkins estimait qu'on peut définir le Réel comme ce qui vous riposte quand on donne un coup de pied dedans (« Reality is what can kick back ») et que c’était là le seul critère vivant qui permette de le distinguer sans discussion possible de la fiction ou de l'illusion. Lacan, par contre, s’il dira bien : « Le réel, c’est quand on se cogne », pour lui on ne se heurte là qu’au bord topologique du réel auquel on continue à n’avoir aucun accès. Il y a seulement alors des effets de bord, qui peuvent faire sens, effets de sens. Mais on reste là encore dans le symbolique (à sa limite). Comment faire prévaloir le réel plutôt que le sens ? Le sens, où s’origine tout savoir, n’en continue pas moins de se constituer... et de se re-défaire... dans la confrontation antinomique au Réel, dont la place ne peut être occupée par le Symbolique.

 

Bien qu’il ait toujours appliqué sa célèbre formule du « Pastout »… ou « Rien n’est tout »… et donc contesté l’affirmation totalitaire de Françoise Dolto « Tout est langage », Lacan est malheureusement parti d’une mauvaise lecture de la Bible affirmant « Au commencement est le Verbe »[4], qu’il a transformé abusivement en : « Au commencement est le langage », alors que la Bible hébraïque dit expressément « Dans les commencements était le Chaos (tohu-bohu) », c’est-à-dire le Vide d’image, de structure, de substance[5]. Si L’être invisible qui n’a pas de nom ni de forme, l’Etre-Temps ou L’Eternel de la tradition hébraïque, qu’on appelle encore tout-à-fait improprement le Dieu des Hébreux, a sorti de ce Vide par la puissance de son Verbe les espaces, la matière, les végétaux, les animaux, l’homme lui n’a pas été créé justement par le Verbe, mais par le Souffle de Vie de l’Etre-Temps sur de la poussière du monde nouveau. Pour l’homme donc, dans les Commencements est la Vie, avant l’Acte (que Freud à la suite de Goethe mettait encore dans Totem et Tabou au Commencement), avant le Regard, avant la Relation, avant le Verbe, avant l’Amour..., la Vie, ce « Commencement perdu » par la pensée gréco-occidentale, du simple fait que la vie est radicalement immanente et ne se tient pas dans le milieu de la vision et de la visibilité...

La vie se tenant toujours dans l’invisibilité de sa mouvance, ce n’est jamais la pensée, qui elle s’accomplit dans le “voir”, dans la représentation, dans “l’évidence”, qui y donne accès.

 

La vie, cet autre nom du réel, ne se montre pas dans un champ d’investigation théorique quelconque. La vie ne se saisit pas dans la raison et la réflexion, mais dans l’affectivité originelle, intime (in  time, dans le temps) et pulsionnelle de chaque être vivant. Ce qui oblige à différencier ce que toute notre culture occidentale nous amène à confondre, le sentir qui est primaire et toujours là, fondement de toute chose, et le penser qui est secondaire et occulte le plus souvent ce sentir, sans lequel il n’existerait pas.

Le sentir qu’on sent n’est pas pensée de sentir…

Mais expérience muette,

Comme le dit Maurice Merleau-Ponty

La conception gréco-occidentale définit l’homme par la pensée (« Pensée fait la grandeur de l’homme…L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature, mais c’est un roseau pensant » [6]),au lieu de le définir par la vie, cette vie qui fait naître la pensée en l’englobant, la portant et la dépassant de toutes parts. N’est-ce pas l’impensable de la vie et de l’être qui nous pousse à penser et permet la possibilité même de la pensée ?

Avec son « Je pense, donc je suis », Descartes, cet angoissé qui avait besoin de penser pour se sentir être, a engagé toute la culture occidentale dans une erreur majeure, dont nous n’avons pas fini de payer les effets désastreux en termes moïques. En effet, le “Je” de ce « donc je suis » est un moi imaginaire, réservoir de représentations, demandant qu’il y ait sans cesse de la pensée pour ne pas disparaître, pour exister, alors que le “Je” qui pense est lui fondamentalement un “soi” qui vit d’abord, qui sent, et qui produit ensuite ou non de la pensée. En nous identifiant à tort à la pensée, nous sommes devenus de vrais malades de la pensée et par suite d’un narcissisme mortifère (narcissisme comme amour d’une image, et non de son soi propre), comme vient nous le démontrer notre clinique chaque jour. Ce ne sont pas les pensées elles-mêmes qui sont problématiques, mais notre attachement à la pensée.

 

La cure analytique, n’est-ce pas alors faire le deuil de ses idéaux et de ses idolâtries ?

Malgré sa passion de tout rationaliser, tout expliquer, tout maîtriser, Freud a finalement reconnu que la conscience ne résidait pas que dans la représentation, et il a reconnu aussi que l’inconscient n’était paradoxalement pas sans conscience.

Nous communiquons comme les terriers des renards,

En silence et dans l’obscurité, sous terre.

Lettre d’Henry David Thoreau à Ralph Waldo Emerson en 1843

 

Dans une lettre du 25 mai 1916 à Lou-Andréas Salomé, Freud écrit « Dans mon travail je fais artificiellement le noir en moi pour centrer ma conscience sur l'obscur »… Je fais le noir, ce n’est pas rien, mais il semble que dans les nombreuses contradictions de Freud cela soit passé inaperçu… Combien d’analystes ont cette pratique du vidage ou du suspens de toute image, de toute représentation, proche de la méditation des grands yoguis ? Bion, né en Inde à Mutra d’une mère hindoue et d’un père anglais, a su, grâce à son environnement natal et sa familiarité avec les pratiques yoguies, développer l’écoute freudienne avec “attention également flottante” dans une rêverie « sans mémoire, sans savoir, sans projet » ; Winnicott qui n’était pas un intellectuel et travaillait avec son soi corporel, comme il l’a écrit[7], en a fait autant avec son « être-là sans but et sans intention », sa capacité d’« être seul en présence de l’autre », « en acceptant le chaos et l’informe... »… Il est regrettable que Lacan se soit enlisé dans le langage et le formalisme mathématique, alors qu’il donnait l’impression d’être tout près de cela par ses formules « Là où je suis, je ne pense pas ; là où je pense, je ne suis pas » ou encore « L'analyste dans la psychanalyse n'est pas le sujet qui pense, et c'est à ne pas penser qu'il opère ».


Qu’est-ce qui opère alors ? La structure, dira Lacan et il se perdra dans ses élucubrations topologiques avec ses bouts de ficelle de plusieurs couleurs et ses nœuds borroméens. Tout en reconnaissant dans Télévision (1974) « C’est le réel qui permet de dénouer ce dont le symptôme consiste », il affirmera « L’analyse ne change rien au réel ». Pour Lacan, l’analyse ne change que la relation du sujet au signifiant, en réorganisant symboliquement sa “représentation du monde” et sa relation à cette représentation, c’est-à-dire à la “réalité”.

 

A une vérité nouvelle (prise de conscience),

On ne peut se contenter de faire sa place,

Car c’est de prendre notre place en elle qu’il s’agit.

Elle exige qu’on se dérange. On ne saurait s’y habituer seulement.

On s’habitue à la réalité ; la vérité du désir, on la refoule.

Jacques Lacan

Pour Lacan, le dernier mot est de ne pas céder sur la vérité de son désir. Certes. Mais tout ceci, bien qu’important, reste mental, secondaire et peu opérant réellement. Car si on travaille au niveau de la réalité, on réaménage peut-être la réalité autrement, mais le réel n’est pas touché, tandis que si on travaille au niveau du réel, par voie de conséquence la réalité en est transformée.

Finalement, ce qui me sépare de Lacan, c’est non seulement qu’il ne reconnaît pas l’affectivité charnelle et fondatrice de l’être vivant, mais que pour lui, le sujet finit par s’apparenter au… rien, à une éclipse de sujet ! Le contraire d’une “présence charnelle catalytique, créatrice et agentielle ” !

 

Par rapport à la question : qu’est-ce qui opère donc ?, Freud a pensé lui dans un premier temps dans “Études sur l’hystérie”, p. 229, à un facteur personnel, affectif : « A côté des facteurs intellectuels auxquels on fait appel pour vaincre la résistance, un facteur affectif dont on peut rarement se passer joue un rôle. Je veux parler de la personnalité du thérapeute et, dans de nombreux cas, c’est elle seulement qui sera capable de supprimer la résistance. Ici comme partout en médecine et dans toutes les méthodes thérapeutiques, il est impossible de renoncer totalement à l’action de ce facteur personnel ».

 

Il dira encore que l’analyste dans la cure devient un « agent catalytique » qui absorbe sans retour et neutralise les exagérations affectives, régule les affects du patient.

Cependant, avec la découverte du transfert, la réflexion va sans cesse se déplacer et s’instrumentaliser. Le transfert, qui est un phénomène courant de la vie humaine, résultant d’un besoin infantile de dépendance et d’idolâtrie, devient la clef de voûte de la situation psychanalytique : C’est lui qui dans cette situation met en acte l’inconscient. Il est défini par Freud comme « sentiment porté à la personne de l’analyste » et comme « intense relation affective » de « nature amoureuse ». Plus largement, le transfert exprime le besoin qu’a une personne de trouver quelqu’un à qui s’en remettre, parce qu’elle lui suppose savoir et pouvoir. 

Les affects “transférés” sur l’analyste et qui s’adressaient originellement dans l’enfance à un personnage-clef du proche entourage, père, mère, etc. s’avèreront être en fait de nature très diverse, et aussi bien négatifs que positifs. C’est parce que le transfert réactive des conflits que la cure peut introduire des changements, ça c’est ce que les psychanalystes ont commencé à dire… et en ce sens le seul vrai transfert analytique est le transfert négatif. La névrose n’est plus seulement abordée comme un événement du passé mais comme une force actuellement agissante.  

En janvier 1907, au cours d’une soirée des fameux “mercredis” de son groupe de premiers disciples, Freud va jusqu’à proclamer : « Il n’y a qu’une puissance capable de surmonter les résistances, c’est le transfert. Nous contraignons le patient à renoncer à ses résistances par amour pour nous. Nos traitements sont des traitements par l’amour. Il ne nous reste que la tâche d’éliminer les résistances personnelles. Nous pouvons guérir aussi loin que s’étend le transfert ; l’analogie avec le traitement par l’hypnose est frappante. Seulement la psychanalyse utilise le pouvoir du transfert pour amener un changement durable chez le patient, alors que l’hypnose n’est qu’un tour d’adresse, tout provisoire. » 

Cependant, “rendre conscient l’inconscient” est resté toujours le mot d’ordre de Freud malgré tous les revers et échecs subis, ce qui est tout-à-fait paradoxal surtout quand on sait qu’à partir de 1915, il réalise que cette tâche est non seulement impossible mais surtout inutile sur le plan thérapeutique : La prise de conscience n’amène en soi aucun changement ; l’explication de l’origine d’un symptôme ou d’une résistance ne suffit pas à les lever ; la compréhension du sens est sans effet profond ni durable. Oui, la compréhension du sens est sans effet profond ni durable !

 

L’irreprésentable, ce lieu d’éclipse de la pensée armée du logos, cette “terra incognita” des théoriciens, ce réel, tous les psychanalystes le reconnaissent inépuisable et se renouvelant sans cesse. Ils ont pourtant grand mal à concevoir que ce que nous voyons et exprimons nous renvoie toujours à l’invisible et à l’inexprimable qui le fondent ici et maintenant, et non aux évidences d’une théorie déjà élaborée, et ils acceptent rarement que la fonction de l’analyste depuis Freud ne soit pas seulement de fabriquer de la représentation sur ce terreau... ou de cerner le fantasme dont l’étymologie (phantazdo) signifie “rendre visible, faire voir”.

 

Pourtant, bien qu’il n’en tienne pas toujours compte, Freud a insisté à plusieurs reprises sur le fait que « nul ne peut être tué in absentia ou in effigie ». On ne peut agir sur une manifestation que lorsqu’elle est présente en elle-même et s’exprime directement dans le vécu de la situation thérapeutique. La compréhension intellectuelle n’entraînant aucun changement, il faut l’expérience, mais pour moi, plus que l’expérience (qui reste encore une objectivation mentale), il faut “l’épreuve”, c’est-à-dire l’affrontement direct et subjectal du réel. L’analyse est une épreuve du soi et de l’autre.

Dé-masquer le réel, tel est en définitive le travail du psychanalyste.

Serge Leclaire

Le point clef de l’ana-lyse, n’est-ce pas celui où le voile de la réalité se déchire un temps devant le réel, le temps d’une ouverture avant que l’inconscient ne se referme ? Le vrai facteur de changement me semble être la mise à bas des masques dont est recouvert le réel, l’ouverture au réel à la suite de l’abandon, bien sûr tout provisoire, de la “terre ferme” du monde de la représentation, des symboles et des concepts, et le ressourçage dans le vide créateur. C’est ce ressourçage, qui suscite une attitude nouvelle et une plus grande liberté au retour dans le monde de la représentation, où s’ouvre alors brusquement une infinité d’autres possibles qui n’existaient pas avant.

Tous les premiers livres de Carlos Castaneda sont consacrés à la description de ces processus. L’“île du Tonal” est le monde de la représentation, qui soutient les registres de l’imaginaire et du symbolique, et la “mer du nagual” qui l’entoure de toutes parts et tend à l’éroder est le Réel, ce que Schopenhauer appelait lui “le Monde comme vouloir-vivre”. On pourrait dire comme Désir.

 

On ne peut, comme le font beaucoup d’analystes, occulter l’éprouvance dans le vide ou le flou de représentations au profit de la parole réfléchie et de la description. Car si la parole descriptive est souvent inutile, cette éprouvance impliquante de l’analyste, elle, est toujours indispensable pour entraîner la régression vers le réel de l’analysand et amener un changement véritable.

Anna G, cette patiente de Freud en 1921, sa petite-fille vient juste au début de l’année de publier le Journal de son analyse, que sa fille avait retrouvé dans le grenier de sa maison, Anna G écrit que la présence de Freud dans la même pièce qu’elle pendant les séances d’analyse était plus importante que tout ce qu’il pouvait bien lui dire….Oui,. Ce n’est pas rien : la présence de Freud dans la même pièce qu’elle pendant les séances d’analyse était plus importante que tout ce qu’il pouvait bien lui dire…. Freud lui-même, qui n’en est pas à une contradiction près n’écrit-il pas d’ailleurs des années plus tard dans une correspondance à Marie Bonaparte : « Je soigne mes patients moins par ce que je dis ou je fais que parce que je suis…. Je ne soigne ni avec mon savoir, ni avec mon savoir-faire, mais avec mon être », on peut retrouver à peu près les mêmes mots dans les écrits de Sacha Nacht et dans l’autobiographie de Jung et chez bien d’autres encore. Ils ne se sont pourtant certainement pas plagiés, mais c’est leur propre pratique qui leur dictait cette parole. Lacan a prétendu avec ironie les corriger en affirmant que l’analyste agit surtout avec son “manque à être”, mais ce manque à être ne fait-il pas partie de l’être ? Et n’est-il pas un effet de la dissociation du réel et de la réalité ? D’autant que c’est l’intensité de ce manque à être qui nourrit le désir de l’analyste.

 

Non, on ne peut pas réduire l’analyse à un échange verbal et encore moins aux lois du langage. Comme on ne peut pas réduire ce qui se passe ici et maintenant dans cette salle à un discours. Ce serait bafouer le réel.

Hilda Doolittle, dont on vient juste aussi de publier en France son livre « Pour l’amour de Freud », Hilda Doolittle, parlant de son analyse avec Freud, écrit : « Je ne peux pas classifier le contenu de mes séances ni les raconter d’une manière logique ou livresque. C’était essentiellement “une atmosphère” »…Une atmosphère !

Ce n’est pas pour rien que Searles, qui a travaillé toute sa vie avec de grands psychotiques, insiste lui aussi dans son livre « Mon expérience des états-limites » (Gallimard.1994, p. 16) sur l’atmosphère de séance et la participation non-verbale de l’analyste, qui seraient selon cet éminent psychiatre et analyste bien plus importantes que toutes les interprétations et fariboles langagières. Les interprétations viendraient même empêcher l’émergence de la perlaboration de l’analysand au niveau archaïque.

 

Bill Schutz répétait sans cesse : « we are encountering », nous sommes toujours en train d’affronter. Ce qu’il méconnaissait, c’est qu’il s’agissait d’un affrontement avec le réel et qu’il était nécessaire d’affronter le réel de l’autre avec un regard frais, une « ouïe toute nue ». Le réel s’affirme alors comme ensemble de devenirs et de processus d’individuation et non plus de choses et de substances. C’est ce que m’ont enseigné mes patients borderline, que j’aime nommer plutôt « frontaliers ». C’est à Roustang que je dois d’ailleurs cette désignation. Les “frontaliers”, ces sujets-limite ou dans des états-limites, ce sont eux plus que tout autre qui m’ont fait sentir où se situait l’efficacité de l’action thérapeutique.

J’étais encore analyste bio-énergéticien quand Rolande est venue me voir. Elle me donna dans les entretiens préliminaires l’impression d’être une névrosée classique. C’était une très belle femme, qui semblait à son aise dans la parole, un peu moins dans son corps. Elle travaillait dans une institution où elle était psychologue d’enfants et où elle était très appréciée. Pourquoi voulait-elle entreprendre une thérapie ? Elle se contenta de me répondre en première justification qu’elle avait des problèmes relationnels avec les hommes. Elle avait fait une première tranche d’analyse (un an) avec Guy Rosolato, puis une deuxième tranche (six mois) avec Jean-Claude Lavie. Mais disait-elle, la psychanalyse ne lui semblait pas pouvoir résoudre ses problèmes… Elle avait pourtant eu affaire à deux “ténors de la psychanalyse”. Ayant lu des livres de Lowen, elle lui avait écrit à New-York pour avoir des adresses de bio-énergéticiens français : c’est ainsi qu’elle avait débarqué chez moi, alors Président de la S.F.A.B.E[8]. Bien sûr je fus alerté par le fait de ces tranches successives, courtes et rapprochées, qui montrait sa difficulté d’être dans une continuité. Je relevais que c’était avec des enfants qu’elle était parfaitement à l’aise. Je fus frappé surtout par la difficulté d’entrer dans une quelconque anamnèse : Elle était, paraissait ou se voulait sans histoire.

« Ce que je souhaite, me dit-elle, c’est travailler au niveau du corps et non de la parole ».


Dans la lecture lowenienne[9] de la structure de son corps, elle présentait toutes les caractéristiques hystériques et rentrait tout-à-fait dans le cadre de l’analyse caractérielle somatique et psychique, telle que j’envisageais alors la thérapie bio-énergétique. Or, dès que j’essayais de l’orienter vers la moindre mobilisation corporelle, elle se mettait à parler abondamment et obstruait le chemin vers tout travail corporel. Mais sa parole n’en restait pas moins vide. Finalement, nous n’avancions pas et elle ne m’apportait aucun matériel consistant. Je pensais qu’il y avait chez elle de très fortes résistances, et qu’il me fallait être très patient, oubliant qu’ainsi c’est à elle que je demandais d’être patiente.

Ce n’est que bien plus tard que je devais réaliser que son obsession du corps reposait sur le fait qu’elle n’en avait paradoxalement pas. Elle courait après ce qui lui manquait : une chair qui lui aurait permis de prendre corps et consistance. Il est aujourd’hui évident pour moi que ce type de patients qui foisonnent en analyse bio-énergétique, attirés comme un aimant par le signifiant “corps” d’une part, et le signifiant “énergétique” d’autre part, sont paradoxalement ceux qui fichent en l’air toute la théorie bio-énergétique classique fondée sur le modèle freudien de la névrose et l’analyse du caractère à travers la structure corporelle. Je dirais que ces patients sont justement dans des “états-non-caractérisés” par rapport à leur structure corporelle apparente, ce que Lowen n’a admis que très tardivement ou peut-être même jamais…. Mais on peut dire que ce sont ces patients aussi qui ont bouleversé le cadre de la cure psychanalytique et obligé les psychanalystes modernes à repenser le modèle de la névrose et de la perversion à partir de la psychose.

Les deux meilleures définitions cliniques des “frontaliers” que j’ai peut-être jamais entendues, définitions à l’emporte-pièce certes mais si éclairantes, ce sont celles de mon formateur principal en analyse bio-énergétique, Ed Müller. Il disait : « Ce sont des savonnettes mouillées… A peine croit-on les avoir saisies dans sa main qu’elles ont déjà glissé et se trouvent ailleurs ». Il disait encore : « Ce sont des peaux de banane ». Rien ne vaut en effet un “frontalier” pout vous faire trébucher, vous mettre en échec, bref vous remettre totalement en question, aussi bien au niveau théorique qu’au niveau technique, mais aussi au niveau personnel, puisque s’ils pulvérisent les théories et les techniques, c’est cependan

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20 novembre 2012 2 20 /11 /novembre /2012 17:04

« Le Don (en russe: Дон, « eau » en langue des Scythes, appelé Tanaïs (Τάναϊς en grec ancien) est un des principaux fleuves de Russie. Il prend sa source près de Toula au sud de Moscou et parcourt un peu moins de 2 000 km avant de se jeter dans la Mer d'Azov. (Wikipédia).

 

Les extraits qui suivent proviennent du  Site dédié à Joseph DELTEIL (1894-1978)

 

 

François d'AssiseFRANCOIS D'ASSISE


"Tous les pinsons du monde là-haut dans les platanes chantaient et fientaient à qui mieux mieux, et François aussi c'est toute sa fiente qu'il jetait au diable, la fiente de l'homme.
Il jetait, et ayant tout jeté il jetait encore, il jetait toujours, d'un geste automatique, perpétuel... Que n'eût-il jeté ! Si c'était une < livre de chair > qu'on lui réclamât, va pour la livre de chair! Et jusqu'à sa mère... (d'où que ce saint si tendre ne pense plus jamais à sa mère, désormais n'a plus de mère comme s'il avait rendu sa mère à son père, par-dessus le marché). On sentait que sur sa lancée il eût rendu ses oreilles, ses yeux, la totalité de son corps, restitué à son géniteur jusqu'à sa goutte de sperme...
-. Ecoutez tous, dit-il à haute voix, jusqu'ici j'avais appelé Pierre Bernadone mon père, mais désormais je n'ai plus qu'un père, < Notre Père qui êtes au ciel... >
Et peu à peu François se sentait devenir léger, simple, libre, libre, libre... On a décroché les perspectives, le champ des choses s'éloigne, le monde rapetisse. L'évêque, l'engeance humaine, la ville, tout s'étiole et s'efface. Il ne voyait plus rien, pas même ce chiche père Bernard là-bas qui ramasse en hâte un tas de vêtements et l'emporte, avarement, à reculons... Il ne reste çà et là que quelques linéaments, une moustache de soldat, un sabot de bête, un bout de crosse... Il se fait un espace immense entre François et le monde, un espace d'homme."

Joseph Delteil - Extrait de François d'Assise (1947), Œuvres complètes (Grasset), page 577


 

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SUR LE FLEUVE AMOUR

Elle est née au bord de l'Amour, dans une cabane jaune, un soir... Le village est tout empli d'un bêlement de moutons. Chaque maison parfume ses poutres d'une odeur de cuisine grasse. Le fleuve bordé d'arbres blancs charrie un limon très tendre. Les renards bleus ont franchi la muraille. Une neige calme tombe sur la Sibérie.
Elle est née sur une natte de poil de chèvre, qui lui inflige la première piqûre de la vie. Pas de médecin ni de vieille femme diplômée. Le père est en forêt pour la saison du bouleau. Seul le frère aîné, Tserzef, cinq ans, aide à la délivrance. Il porte dans ses mains le bol de faïence plein de miel de l'Altaï, et à petits coups gauches, il en badigeonne les lèvres de Ludmilla. Parfois, si la mère s'arrête un instant de gémir, en cachette il lèche ses doigts dorés. On n'entend, dehors, que l'aboi du chien Ksour contre la lune nouvelle.
Elle a grandi près de l'eau. Ou plutôt, c'est le fleuve qui s'est amenuisé jusqu'à elle. D'abord, c'était une vaste étendue d'eau de haute taille, pâle et farouche, gardée par des arbres en armes. Puis, Ludmilla l'a vu diminuer jour à jour de largeur et de sévérité, se proportionner à elle-même, sourire à travers ses glaces, ou, l'été, fleurir pour elle. Et un jour, elle a osé. Elle l'a pris dans ses bras, et elle a joué avec...


Joseph Delteil  - Extrait de Sur le Fleuve Amour (1922), Œuvres complètes (Grasset), pages 22-23


 

* * *

 

                                                                                                                                                                                                                                          « Quand je vois un lion dans la brousse qui se précipite sur moi, je le vois non pas dans l’ordre zoologique mais avec Delteil.jpgmes cinq sens, sensationnellement.

 

D’abord en gros plan, ce qui déjà me déchire et me dévore, ce qui me saute au yeux et m’entripaille les entrailles : ses immenses yeux chinois, ses grosses moustaches d’almanach, son ramassement, l’hallucination de la démarche, la torsion de la patte.

 

A-t-il une queue ou des cornes, je n’en sais rien et qu’importe !

Si vous voulez un lion photographique, allez chez un photographe !

 

Moi je ne vois que le lion delteillien, le lion qui bouffe Delteil. »


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13 novembre 2012 2 13 /11 /novembre /2012 09:22

MosaicII MC Escher

 

Source image

 

MC Escher  Mosaic II

 

* * *

 

L'Orchestre de contrebasses

 

LES DIABOLIQUES - Interférences
 
Irène Schweizer (piano)
Maggie Nicols (chant)
Joëlle Leandre (contrebasse)

Pour la tendresse:

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6 novembre 2012 2 06 /11 /novembre /2012 13:40

tri-thong-minh.jpeg

 

 

cay-thong01.jpg

 

Cay Thông - Arbre à sève (Pin)


Trí (esprit) Thông minh : Circulation (et) clarté

 

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Palindrome

Ah vous dirais-je maman...

                         "Anamnèse"

  Anamnèse
 

Qu'il y a t-il dans une noix
Quête ? en quête ? contre-enquête ?

Questions en pas science...

mais un beau matin......

l'épreuve sans les preuves devient chemin.

Question de patience.

Cultiver son lopin, son lapin,

l'attraper par les oreilles, les bonds
les sons, les couleurs, attraper la balle au bond,

la balle et le son à Foison, à Foi Son...

c'est ce que fait madame la Baluche avec son silène,

le compagnon blanc

 

  baluche-en-voyage-redboots2013.png

Premières mesures de la préface de Michel Foucault :

Les Mots et les Choses.

Une archéologie des sciences humaines (1966)

« Ce livre a son lieu de naissance dans un texte de Borges.

Dans le rire qui secoue à sa lecture toutes les familiarité de la pensée –

de la nôtre : de celle qui a notre âge et notre géographie –

ébranlant toutes les surfaces ordonnées et tous les plans

qui assagissent pour nous le foisonnement des êtres,

faisant vaciller et inquiétant pour longtemps notre pratique millénaire

du Même et de l’Autre.

Ce texte cite « une certaine encyclopédie chinoise »

où il est écrit que les animaux se divisent en

a) appartenant à l’Empereur,

b) embaumés,

c) apprivoisés,

d) cochons de lait,

e) sirènes),

f) fabuleux,

g) chiens en liberté,

h) inclus dans la présente classification,

i) qui s’agitent comme des fous,

j) innombrables,

k) dessinés avec un pinceau très fin en poil de chameau,

l) et caetera,

m) qui viennent de casser la cruche,

n) qui ressemblent à des mouches.


Dans l’émerveillement de cette taxinomie……….

Tamis &Amp; Tatami